Cicatrices

je répète le geste dans ma tête, exactement comme je l’ai vu, son retour perpétuel, de haut en bas, le même, l’identique, l’unique geste, là la seconde devient l’heure et la minute répète le même à l’interminable, cette seconde est une vie, tout commence à son début et tout se recommence à sa fin, dans le même instant, la seconde est comme une chambre sans porte où le même circuit se répète, ce que je fais n’est pas le plus important mais comment je me suis trouvé là, une machette à la main, levée, au-dessus de la bête mâle et la bête femelle horrifiées, nos vies se sont coincées dans cette seconde entre le moment où mon bras s’est levé et le moment où Azhar me dit d’accomplir comme lui le geste de la machette, d’enfoncer la lame dans les os de la nuque

le même pousse de ma mémoire à mon silence, puis à nouveau de ma mémoire à mon silence, ma vie n’a duré que l’instant d’un clin d’oeil, plus courte que cette seconde où je suis debout avec une machette dans ma main

je revois les mêmes actes, aux mêmes endroits, à des moments semblables, commis sous mes yeux, égrainés, transmis, appris puis chantés dans les psalmodies de louange pour que je ne les oublie pas, pour me souvenir que ce même acte que je tends à commettre et qui a déjà été commis, puis transmis à mes oreilles, puis tu, puis commis une autre fois sous mes yeux à nouveau et transmis vient de se commettre à nouveau sous mes yeux horrifiés

et à cet instant, à cette seconde précise où je lève ma machette, je me rends compte que je renouvelle ce qui a été déjà commis, que je me situe à cet instant sur la ligne de l’aboutissement de l’homme que je dois devenir