Amir

14,61

Longtemps j’ai désespéré de trouver un jour cet hémisphère idéal qui me rendrait parfaitement heureux. Mais j’ai fini par le trouver, après d’inlassables recherches, j’ai trouvé cette convexité vivante, venue remplir exactement la concavité de mon torse, ou plus précisément de la partie droite de mon torse, creuse et atrophiée. Le bonheur m’est échu soudainement, comme un rêve se réalise, lorsque j’ai rencontré Wassila, Wassila la bien nommée : c’est par elle, et grâce à elle que j’ai pu atteindre la félicité, parvenir au comble du plaisir. Ce bonheur aussi soudain qu’inattendu venait après de nombreuses tentatives, qui se soldaient régulièrement par le sentiment décourageant d’avoir poursuivi un mirage. Je finissais donc par penser qu’un tel hémisphère charnel était si rare, si difficile à trouver, que j’avais peu de chances de le rencontrer jamais.
Reprenons les choses au commencement.
Cela se produisit immédiatement après ma venue au monde. Je cite ici les termes mêmes du médecin chef de la clinique : “Une forte pression sur le côté droit du torse, au cours des premiers jours suivant la naissance, a provoqué un écrasement de la cage thoracique, du même côté, et compromet gravement la croissance de cette partie du corps, qui abrite l’appareil respiratoire. Les muscles sont atrophiés et les tissus détruits. Cette pathologie est visible à l’oeil nu, et ressemble à une malformation congénitale qui se manifesterait comme un enfoncement du côté droit de la poitrine.”
Le Dr Ramzy al-Assiouty avait ajouté ce commentaire de sa propre main : “C’est comme si une main puissante avait empoigné le nouveau-né à sa naissance.”
Voilà le rapport médical d’origine, qui, joint à mon dossier officiel, me vaudrait plus tard d’être dispensé du service militaire. Les médecins de la caserne où je m’étais présenté me déclarèrent “inapte au service dans les Forces armées”.
Il existe une autre version de cette histoire, transmise par ma grand-mère, dont le témoignage cependant reste sujet à caution, car elle était la mère de mon père, et par conséquent la belle-mère de celle qui m’a mis au monde, qu’elle n’aimait pas, l’accusant de nourrir des préjugés aristocratiques. Ma mère, donc – paix à son âme ! – avait demandé, avant l’accouchement, dans une clinique qui avait alors une excellente réputation, que l’on vaporise dans la salle de travail un produit insecticide, car elle avait horreur des cafards. Cette demande suscita un conflit entre les deux femmes, ma grand-mère ironisant sur cette phobie des cafards, et disant que seules les grandes maisons aristocratiques, comme celle de ma mère apparemment, abritent ce genre d’insectes, d’ailleurs inoffensifs, qui ne fréquentent pas les maisons des gens humbles… Bref, la sage-femme, dûment rétribuée par ma mère, avait littéralement vidé dans la pièce où j’allais voir le jour, et jusque dans le moindre recoin, la bouteille de ce produit toxique. Ma mère, après la délivrance, se trouva plongée dans un profond sommeil ; était-ce fatigue ou intoxication ? Dieu seul sait. Toujours est-il que lorsqu’on pénétra dans la chambre, au matin – je laisse ici la parole à ma grand-mère : “Tu étais, mon chéri, prunelle de mes yeux, écrasé sous sa fesse gauche, on voyait ta tête apparaître comme une coupole au-dessous de sa cuisse. Et il est arrivé ce qui est arrivé…”


Ship From :France
Item will be shipped in 3-5 business days
Magasin
5 out of 5
SKU: nju Category: Tags: ,